TROISIEME ETAGE




 







ESCALIER DU DEUXIEME AU TROISIEME ETAGE



Derrière une porte vitrée au fond du palier bibliothèque, un petit escalier monte sous les toits. L'escalier est étroit "comme la vis d'une tourelle". Trois marches et devant nous, contre le mur, un miroir en hauteur, sur le cadre du quel Hugo a peint des lianes aux fleurs multicolores ; encastré dans la partie supérieure de l'encadrement, un petit plat d'argent, sur lequel est gravée la même inscription qui, à l'autre extrémité du palier, brille en lettres d'or sous la verrière : "Deus Dies".

L'escalier tourne à gauche. En face, une porte vitrée à croisillons, donant sur "l'escalier dérobé" de la chambre de Garibaldi ; le bas de la porte est décoré d'un motif carré à fond bleu représentant une pagode et des chinois dorés.

L'escalier tourne encore une fois à gauche, et nous arrivons au palier du troisième et dernier étage.



peinture de Georges Hugo (petit fils de Victor Hugo)





L'ANTICHAMBRE DU LOOK OUT




Un petit palier. Trois portes. A gauche, le grenier. A droite une chambre, que Hugo appelait "le Radeau de la Méduse" et qu'il destinait aux écrivains sans ressources qui lui demanderaient l'hospitalité ; à notre connaisance le "radeau" de Hauteville n'eut à recueillir aucun naufragé. Face à l'escalier, la porte vitrée qui donne sur le petit appartement de trois pièces, "l'Arche inviolable", "le Saint des Saints", où Victor Hugo a passé la plus grande partie de son exil : une sorte d'antichambre en longueur servant de bibliothèque, le "look out" où il travaillait et, sa chambre à coucher.
Lorsqu'il descendait de ses hauteurs, le poète craignant sans doute qu'on jetât des regards indiscrets sur ses manuscrits, fermait soigneusement sa porte à clef. Le troisième étage était son domaine exclusif.

C'est en octobre 1861, au retour de son voyage en Belgique qu'il décide de construire une verrière sur le toit, face à l'océan et de la mettre en communication avec l'antichambre bibliothèque où jusqu'à cette époque il avait travaillé. Il l'appelle "la chambre de verre" ou "Cristal Palace".

Il note le 8 octobre 1861 : "les travaux commencent aujourd'hui et tout devra être fini le 10 décembre". Le dôme qui éclairait l'escalier principal sera démonté et remplacé par un grand cadre ovale en verre, mais sur lequel on peut marcher. Du verre sur trois côtés et au toit et grâce aux miroirs placés sur les seuls pans de mur opaques de cette pièce, l'océan est présent de tous côtés. Il note le 28 décembre 1861 : "Les charpentiers ont coupés la facade du pignon et mis l'antichambre du look out en communication avec la chambre de verre". Le lendemain : "J'ai inauguré la chambre de verre ébauchée en y lisant une lettre de JJ" ; mais ce n'est que le 2 avril 1862 qu'il écrira : "J'ai travaillé pour la première fois dans le cristal room quoiqu'il soit loin d'être fini".





L'antichambre mesure 5 mètres 90 de long sur 2 mètres 75 de large ; le plafond est bas : 2 mètres de hauteur.

Contre le mur, à gauche de la porte, en regardant celle-ci, une petite peinture de Léopoldine enfant. De l'autre côté de la porte, une photographie de la famille Hugo (Victor, Adèle I, Charles, François Victor et Adèle II).

Contre le mur de gauche en entrant, une commode de laque noire Coromandel, aux dorures abîmées, où le poète entassait lettres et manuscrits ; puis un très long divan, et au dessus de celui-ci quatre rayons vitrés, remplis de livres.

Devant le divan se trouvait autrefois une petite table à pieds tors, le poète en fit cadeau à Juliette Drouet (elle est actuellement à la Maison Victor Hugo, Place des Vosges) et , de sa large écriture, inscrivit cette dédicace sur le dessus même de la table : "Je donne à Madame Drouet cette table sur laquelle j'ai écrit la Légende des Siècles, Guernesey, Victor Hugo, 16 août 1859".

Contre le mur de droite, entre deux poufs rectangulaires, un petit meuble composé par Hugo, recouvert d'un vieux velours d'Utrecht vert ; sur les portes des placards et le devant des tiroirs sont fixés, à l'aide de clous dorés, de petits panneaux de soie bleue brodés de larges roses blanches. Un des panneaux est décoré du monogramme AB, qu'entoure une couronne de lauriers. Ces broderies de soie auraient appartenu à Ann Boleyn, l'épouse infidèle (mère d'Elisabeth Ière d'Angleterre) qu'Henry VIII fit décapiter.

Plus loin, un long divan au dessus duquel est fixée une glace à encadrement doré, et un divan de coin ; entre les deux divans, l'entrée de l'étroit couloir qui conduit à la chambre du poète. Au dessus de ces divans, trois bibliothèques vitrées.

Au premier tiers de la pièce, une bande de soie jaune à festons allongés, pendant du plafond, traverse l'antichambre dans le sens de la largeur ; derrière cette soierie était accroché un rideau que l'on pouvait baisser ou relever à volonté, et qui permettait à Hugo de ne pas être vu à travers la porte vitrée de l'entrée.

La partie de l'antichambre en avant de ce rideau, était envahie par les papiers, les manuscrits et les livres. Il était, paraît il, presque impossible d'y circuler.



CHAMBRE DE VICTOR HUGO



Dans l'antichambre bibliothèque, un petit couloir mène à la chambre de Victor Hugo. Au mur de ce couloir une carte des îles de l'archipel de la Manche qu'il utilisa pour écrire "Les Travailleurs de la Mer".

Il appelle cette chambre look out. C'était en effet jusqu'à la construction de la chambre de verre le plus haut poste d'observation de la maison.

De toutes les pièces aménagées à Hauteville House, elle est la plus petite : Charles la comparait à "la cabine d'un capitaine". Elle s'avance sur le toit, à la façon des look out de Guernesey, par une baie formée de quatre fenêtres et d'une porte fenêtre, par laquelle on atteint la galerie qui fait le tour du toit ainsi que la terrasse entourée d'une balustrade au sommet de la maison. De la chambre on domine le jardin, à gauche Hugo voyait Castle Cornet et le port ; à droite la maison "La Fallue" que Juliette Drouet habita de novembre 1856 à février 1864, avant d'emménager à "Hauteville Fairy". De chacune des pièces de "La Fallue" Juliette pouvait voir "son cher petit homme". "Me voici donc enfin votre voisine. c'est à bout portant maintenant que je vous décocherai mes tendresses et mes baisers. Il me semble que ce rapprochement de nos deux habitations rapproche aussi nos deux âmes". Le jour du déménagement pour "Hauteville Fairy" le 15 juin Hugo note "6 1/4 du matin, nous venons de nous faire les signes du réveil de son look out au mien pour la dernière fois". Le 17 juin 1864 il note : "JJ m'a donné le mouchoir aux pavillons et aux signaux". Mais les signaux continuèrent. Une galerie fait le tour du toit et Hugo accrochait un signal au coin nord du balcon que Juliette pouvait voir de sa fenêtre du 20 Hauteville. Dans une de ses lettres qu'elle écrivait chaque jour, Juliette qualifiera ce signal de "torchon radieux".






La pièce, une "cellule" étroite et basse : 5 mètres 20 de long, 2 mètres 35 de large, 2 mètres 20 de haut.
Au dessus de l'entrée, une veilleuse suspendue par des chaînettes ; à droite et à gauche, deux tabourets de bambou et, contre le mur, deux consoles sur lesquelles sont posés des vases japonais.

Au fond de la pièce, contre le mur, un lit divan sans pieds occupe toute la largeur de la chambre. Il est recouvert, de même que les murs qui l'entourent, d'une soie japonaise à fond jaune, decorée de fleurs peintes, violettes, bleues et roses. Le lit et les trois côtés du lambris de soie sont bordés de bandes de velours grenat, où court un fil d'or enserrant des applications de velours vert.





Un grand miroir reflète le panorama de colline boisée et d'océan.

Il semble qu'il se soit servi de ce divan plutôt comme lit de repos que comme lit. Ses nuits dans ce look out étaient troublées par des hallucinations et des "frappements". il changeait souvent l'orientation de son lit : "J'ai tourné la tête de mon lit à l'ouest" puis "J'ai tourné la tête de mon lit à l'est". Il "émigera" dans la chambre de François Victor après le départ de celui-ci en 1865.

De chaque côté de la baie vitrée, deux grands panneaux triangulaires gravés et peints par Hugo, illustrent d'un côté : "le combat du Chevalier et du Monstre", de l'autre : "la Princesse et le Chevalier victorieux".





"Ces dessins" écrit Georges Hugo (petit fils de Victor Hugo), "nous intriguaient au point que nous emmenions parfois "Papapa" dans cette chambre pour qu'il nous les racontât. Et il nous disait comment le chevalier, qui aimait la belle, devait, pour se faire aimer d'elle, tuer le dragon et lui rapporter la tête. Ajoutant la parole au dessin, il nous décrivait l'histoire".

Sur les murs recouverts de soie, on remarque de nombreuses rainures dessinant des carrés, des rectangles, des triangles. Ce sont les placards secrets. "Ma maison" disait Hugo en riant, "est machinée comme le palais d'Angelo". Plusieurs années après la mort du poète, son petit fils, Georges, découvrit par hasard, dans une de ces cachettes, le manuscrit d'"Amy Robsart".


Ces panneaux s'abaissent et à droite l'on découvre un petit placard où, paraît il, Hugo conservait son uniforme de Pair de France et son habit d'Académicien. Son épée de pair de France, à poignée de nacre, est accrochée au mur. A gauche, un tiroir table renferme une cuvette et un nécessaire de toilette. Hugo faisait ce qu'il appelle ses "ablutions matinales" ou quelquefois son "hydrothérapie". On lui montait la veille des seaux d'eau froide (il note le 3 janvier 1864 : "je trouve en me levant l'eau de mon ablution glacée dans mon seau sur le toit") et debout dans un baquet il s'aspergeait de cette eau froide, puis se frottait au gant de crin.




LA CHAMBRE DE VERRE OU CRISTAL ROOM


Cette pièce aussi appellée look out ou belvédère, est entierement vitrée. C'est une cage de verre, une chambre aérienne, innondée de lumière, d'où l'on a une vue incomparable.





A gauche, la rue en pente de Hauteville, des jardins, les flèches de deux églises, la Tour Victoria, les maisons de Saint Pierre Port.





A droite, le jardin de Hauteville House et les jradins voisins qui descendent doucement vers la mer, la baie de Havelet où Hugo allait se baigner, la colline du Belvédère, verte et boisée.





Devant soi, le port de Saint Pierre et ses quais puis Castle Cornet ; Hugo fut témoin de la construction du port moderne et de la jetée qui relie Castle Cornet à la ville. Quand il débarqua le 31 octobre 1855, le bateau malle ne pouvait encore arriver à quai et il fallait transférer les passagers et leurs bagages sur de plus petites embarcations. Il arriva par gros temps et la malle contenant le manuscrit des "Misérables" faillit passer par dessus bord.

Plus loin, la pointe de Saint Sampson, les îles d'Herm et de Jethou entre lesquelles, le matin, se lève le soleil, plus loin Sercq, l'île parfumée, plus loin encore, à gauche Aurigny, à droite Jersey, et partout par temps clair, entre les îles, à l'horizon, la côte de France. Un spectacle inouï. "Douze lieues d'océan".





C'est dans cette serre de 5 mètres 30 de long sur 3 mètres de large, occupée en grande partie par deux divans, que le poète a travaillé pendant de longues années.
Le plancher est de bois nu ; au centre la verrière ovale qui éclaire la montée de l'escalier.
A gauche un divan. A droite un autre divan très vaste, à trois gradins, prenant tout l'angle de la pièce. A l'entrée, sur le mur, un miroir à cadre de bois noir qui reflète l'océan.
Sur le mur de facade, un petit poêle Louis XV en faïence blanche vernissée à reflets bleutés, orné d'une statuette de Vénus aux mains pleines de roses. Le mur, qui monte seulement jusqu'à hauteur d'appui est, de chaque côté du poêle, lambrissé de carreaux de céramique blancs, violets et bleus, semblables à ceux de la salle à manger.





A gauche, à l'extrémité du mur, une petite tablette de bois noir, que l'on rabat pour ouvrir la porte donnant sur la galerie qui fait le tour du toit. C'est sur cette tablette, ainsi que sur l'autre à angle opposé, que Victor Hugo travaillait, face à l'immensité. Il jetait derrière lui ses manuscrits sur les divans pour en faire sécher l'encre.
Il travaillait chaque jour dès 6 ou 7 heures du matin et jusqu'à midi. Il écrivait debout et avait pris l'habitude de marcher en composant : "Puisqu'il faut" disait il "mourir de quelque manière, j'aime mieux que ce soit par les jambes que par la tête, et j'use mes jambes en marchant beaucoup et en évitant trop de m'asseoir".
"Un écrivain qui, se levant avant le jour, a fini sa journée à midi l'a bien gagnée" disait il, ce qui ne l'empêchait pas de travailler à nouveau au cours de l'après midi, mais il consacrait d'ordinaire celle ci à des promenades le long des grèves sauvages ou dans les riantes vallées de l'île.
Près de la tablette de gauche, le bas de la porte, dont la partie supérieure est vitrée, est décoré de deux panneaux de bois peints par Hugo, d'un côté un chinois, de l'autre un diable rouge tout à la fois jovial et menançant.
A droite du poêle, un miroir en deux parties, pris dans un encadrement de carreaux de Delft blancs ; ce miroir cache la masse de briques de la cheminée extérieure.
La porte de droite donnant également sur le toit n'est décorée que d'une seule peinture, un chinois dont la tunique s'orne de la lettre H et du monogramme VH.
L'angle formé par les baies vitrées et le toit de verre, est masqué par une longue frise en bois sur laquelle Hugo a gravé et peint des fleurs, des oiseaux, des papillons.
C'est tout récemment que le toit a été recouvert d'une peinture , pour protéger la pièce des ardeurs du soleil. Ce belvédère est torride en été et glacial en hiver. Jules Clarétie écrit : "Un autre eût attrapé là haut quelque congestion effrayante. Lui faisait là son oeuvre". Georges Hugo; lors du discours d'inauguration de la statue de Victor Hugo dans Candie Park à Guernesey dit : "Il fait si chaud l'été dans le look out que la peinture s'écaille et que le tain des miroirs fond comme au feu. Le reflet des faïences est aveuglant. Il écrivait tête nue dans cette fournaise, avec tranquillité. Si la chaleur de l'été est sauvage sous ces vitres, le froid l'hiver, y est glacial. Sans paletot, tête nue, toujours aussi calme et serein, il écrivait encore. Le vent s'engouffrait par les fenêtres grandes ouvertes. Il était alors en plein ouragan".





A ce contact quotidien avec l'immensité, la pensée du poète s'épurait, s'élargissait. A l'indignation des premières années de l'exil, qui nous avait valu les vers féroces des "Châtiments", succédait un apaisement olympien. "Sur cette roche où je vis dans la brume et dans la tempête, je suis parvenu à me désintéresser de toute chose, excepté des grandes manifestations de la conscience et de l'intelligence. Je n'ai jamais eu de la haine et je n'ai plus de colère", écrit il en 1865.

C'est dans ce "promontoir du songe" qu'il écrivit, en totalité ou en partie : "La légende des Siècles, Les Misérables, William Shakespeare, Les Chansons des Rues et des Bois, Les Travailleurs de la Mer, Paris, L'Homme qui rit" et ces ouvrages qui devaient paraître après l'exil, certains après sa mort : "Quatre Vingt Treize, La Pitié Suprême, L'Ane, Religions et Religion, Les Quatre Vents de l'Esprit, Le Théâtre en Liberté, La Fin de Satan, Dieu, Toute la Lyre"....

Maurice Levaillant écrit : "Il avait vaincu l'exil ; à force d'énergie, il en avait rehaussé sa gloire. Paris avait sacré Olympio grand poète, mais c'est Guernesey qui le fit Titan et vraiment demi Dieu".



    









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